Discriminations, violences, menaces d'être accusés de blasphème... Analyse de la vie quotidienne des chrétiens au Pakistan.

Des chrétiens stressés et déprimés : un constat en quelques citations

C’est une question de survie. Avant même de savoir lire et écrire, une des premières choses que les enfants chrétiens du Pakistan apprennent sont les dangers de la loi sur le blasphème.

Les parents chrétiens craignent que leurs enfants soient accusés de blasphème, comme Chand, papa d’un petit garçon : 

«Je suis terrifié pour mon fils. Je ne peux enlever de ma tête l’histoire de ce petit de 8 ans, Dildar Masih qui a été accusé de blasphème. Les professeurs d’école de mes neveux leur ont dit d’être très prudents.»

La minorité chrétienne de ce pays est particulièrement touchée par cette loi. Les chrétiens représentent environ 4% de la population totale, mais 12% des 691 cas de blasphème enregistrés en 2015 impliquaient des chrétiens. De plus, quand un chrétien est accusé de blasphème, il a moins de possibilités de s’en sortir : quand un musulman porte des  accusations contre un chrétien, son témoignage pèse plus lourd que celui du chrétien. 

Risquant d’être accusés à tout moment de blasphème et subissant des discriminations au quotidien car considérés comme impurs (Asia Bibi avait été accusée de blasphème pour avoir voulu boire la même eau que d’autres villageoises), les chrétiens pakistanais souffrent de niveaux élevés de stress. 

Selon un psychiatre (dont nous ne pouvons pas donner l’identité pour des raisons de sécurité), beaucoup de clients chrétiens souffrent de dépression profonde. Il explique : 

«Les chrétiens doivent travailler plus dur et être plus performants que les musulmans, ou ils perdent leur emploi. C’est pourquoi j’ai vu des chrétiens qui travaillent extrêmement dur et d’autres qui, paralysés par la peur ne font rien du tout. Personne ne sait qu’ils me consultent.»

La loi anti-blasphème encourage les migrations

  • Fuite vers l’étranger

De nombreux chrétiens pakistanais fuient la persécution. 

Exemple de la Thaïlande : «Bien sûr, le Pakistan me manque» raconte Javed, qui a obtenu le statut de réfugié «mais là-bas, je risquais à tout moment d’être accusé de blasphème et condamné à mort.» Selon le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (UNHCR), en 2016, il y avait 11 500 demandeurs d’asile pakistanais en Thaïlande, tous chrétiens. Pendant la procédure de demande d’asile, ils préfèrent vivre entassés les uns sur les autres dans des appartements. Ils ne parlent pas la langue locale, leurs enfants ne sont pas scolarisés, ils n’ont pas accès aux soins médicaux et ils vivent souvent de ce que leur donnent les églises locales. Si la police les découvre, ils sont envoyés dans des centres de détention où les conditions de vie sont terribles ; plusieurs y ont déjà trouvé la mort.

Exemple en 2012 : une jeune fille, Rimsha Masih, accusée de blasphème est libérée sous caution. Bien qu’innocentée depuis, elle et sa famille étaient en danger de mort. Ils auraient dû vivre cachés dans leur pays. Ils ont trouvé refuge au Canada.

  • Fuite à l’intérieur du pays

Suite à des accusations de blasphème, c’est toute la famille élargie, voire la communauté chrétienne de tout un village qui doit fuir, sans assurance de pouvoir revenir.

Exemple en octobre 2018 : Bien qu'elle soit acquittée, Asia Bibi risque d'être tuée si elle reste dans le pays. Elle doit être rapidement extradée pour sa propre sécurité. 

Exemple en février 2018 : 800 familles chrétiennes ont dû prendre la fuite après une accusation de blasphème lié à un post sur facebook. Le cousin de l'accusé a ensuite sauté d'une fenêtre pour échapper aux sévices des policiers.

Exemple en juin 2016 : au moins 10 familles chrétiennes ont dû fuir leur village de Kot Amam Din au Pendjab par crainte des émeutes suite à une accusation de blasphème envers Usman Masih (30 ans).

Exemple en novembre 2014 : un jeune couple de chrétiens Shahzad Masih, 26 ans, et sa femme Shama Bibi, 24 ans ont été brûlés vifs et jetés dans un four par une foule de musulmans après que Shama ait été accusée de blasphème. Pour échapper au carnage, les chrétiens du village ont fui.

Exemple en mai 2011 : suite à l’acquittement de deux chrétiens, Mushtaq Gill et son fils Farrukh, accusés de blasphème, des centaines d’islamistes ont dévasté des maisons, une école chrétienne et une église à Gujranwala au Pakistan.

Un lien entre la pénalisation du blasphème et la persécution des chrétiens

La loi sur le blasphème entraîne de dramatiques situations et de graves manquements à la liberté d’expression et de religion. Pourtant, le Pakistan a bel et bien approuvé l’Article 18 et signé la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Il y a trente ans, le Pakistan adoptait la loi Pénale de 1986. 

En exigeant la peine de mort en réponse au blasphème, cette nouvelle loi a couronné 40 ans de transformation du pays. Cet État né d’un projet de liberté religieuse, est devenu le pays le plus déterminé du monde à lutter contre le blasphème. Dès lors, le nombre d’accusations de blasphème a augmenté.

Certaines ont déclenché des émeutes qui ont fait les gros titres et les situations de certaines victimes, comme Asia Bibi, ont ainsi pu être mises en lumière dans le monde entier. Au Pakistan, des hommes politiques (Salman Taseer et Shahbaz Bhatti) ont été assassinés pour avoir critiqué les lois anti-blasphème alors que leurs assassins ont été honorés comme des héros auprès du grand public.

Loi unanimement condamnée par les instances internationales

D’autres pays ont adopté des lois contre le blasphème, comme l’Indonésie, l’Éthiopie, la Gambie, le Nigéria, le Rwanda, la Somalie, la Tanzanie et le Zimbabwe, le Soudan ou l’Égypte.

Partout, elles sont utilisées comme un instrument de délation et d’abus à des fins de pouvoir politique et/ou financier.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté de religion ou de conviction dit que les lois anti-blasphème «devraient être abrogées dans le monde entier afin de garantir les droits des convertis.» Le Parlement Européen exprime une «grave préoccupation» quant à l’abus de l’utilisation des lois anti-blasphème au Pakistan et exhorte ce pays à «procéder à un examen approfondi» de ces lois. La Chambre des Représentants aux États-Unis envisage deux résolutions incitant le Pakistan à les abroger. Le Conseil Œcuménique des Églises pense qu’elles inspirent des «violations massives des droits de l’homme.»

Le changement doit venir de l’intérieur

La minorité chrétienne du Pakistan aura sans doute à souffrir de la libération d'Asia Bibi. Asia elle-même devra quitter le pays. Il en est de même pour ses juges et son avocat. Tous sont menacés de mort par des groupes extrémistes islamiques. 

Maintenant qu' Asia Bibi est sortie de prison, il est nécessaire que la pression internationale se concentre sur une transformation intérieure de la société pakistanaise.

En effet, depuis 2011, une centaine de cas de blasphème ont été enregistrés (toute religion confondue), et presque autant de personnes purgent actuellement des peines de prison pour blasphème, dont une quarantaine sont en attente de la peine de mort ou purgent une peine à vie.