Que signifie la victoire d'Erdogan pour les chrétiens persécutés en Turquie? Un analyste de la persécution nous répond.

Comment les chrétiens ont-ils accueilli la réélection d'Erdogan? 

Les chrétiens turcs signalent tout d'abord qu'ils respectent le gouvernement et qu'ils obéissent à la loi turque. Ils considèrent le gouvernement comme donné par Dieu, conformément à l'épître aux Romains, quel que soit le dirigeant du pays. En tant qu'analyste, je dirais que le discours nationaliste religieux qu'Erdogan promeut ne laisse pas beaucoup d'espace aux minorités religieuses pour jouer un rôle public et s'exprimer. Il ne faut pas sous-estimer l'influence du nationalisme turc. Selon ce récit, un «vrai» Turc est un musulman sunnite. Ainsi, si vous êtes Kurde, Arménien ou Syriaque, vous serez au mieux considéré avec suspicion. Si vous êtes un Turc de souche, mais que vous vous êtes converti au christianisme, vous serez également confronté à l'opposition de la société.  

Qu'est-ce que cela pourrait signifier pour l'Église dans les années à venir?

Erdogan continuera probablement sur sa lancée, ce qui signifie que les minorités religieuses continueront à se sentir exclues de la société turque. En même temps, il faut être conscient que la Turquie est très diverse, et que les chrétiens peuvent vivre des expériences très différentes, en fonction de leur environnement familial et sociétal. Il est peu probable que la situation des minorités religieuses se détériore fortement. Mais il ne faut pas non plus s'attendre à une amélioration de leur statut actuel, qui est plutôt mauvais.  

Comment a évolué la liberté de religion depuis qu'il est au pouvoir?

Dans les premières années de son mandat, dans les années 2000, Erdogan avait un programme pro-européen qui laissait plus de latitude et de visibilité aux croyants, y compris aux chrétiens. C'était l'époque où les représentants du gouvernement étaient prêts à écouter les responsables des Églises. Mais tout cela a changé, surtout après la coalition d'Erdogan avec le parti ultranationaliste MHP en 2015 et le coup d'État de 2016, qui a marqué le début d'une répression contre toutes les voix dissidentes. Ce qui a conduit à une détérioration significative de toutes les libertés, plus particulièrement dans le domaine politique.  

Pour la communauté protestante, le véritable coup a été porté avec des interdictions d'entrée pour des chrétiens occidentaux, officiellement pour des motifs de sécurité. Au cours des cinq dernières années, cela a impliqué environ 80 personnes, ce qui a fortement affecté les personnes concernées et les communautés auxquelles elles appartiennent ou appartenaient.  

Combien de chrétiens reste-t-il en Turquie?  

Selon la base de données mondiale sur les chrétiens, il en reste 170.000 dans le pays (0,2 %), alors qu'ils représentaient plus de 20 % de la population avant le génocide arménien. La plupart de ces chrétiens sont des orthodoxes arméniens apostoliques ou syriaques, à côté d'autres chrétiens d'origine orthodoxe (grecque, ukrainienne, russe, bulgare).

Quel est l'état de l'Église en Turquie à l'heure actuelle? 

Les églises protestantes continuent d'être confrontées à des problèmes juridiques, notamment parce qu'elles ne sont pas reconnues comme des associations religieuses. Cela crée de nombreuses difficultés pratiques quand il s'agit de traiter avec les autorités, d'essayer de louer un lieu de culte ou d'ouvrir des comptes bancaires (ce qui est impossible). Les exigences en matière de zonage sont régulièrement utilisées pour empêcher la reconnaissance officielle des bâtiments utilisés comme église en tant que «lieux de culte». La formation officielle au séminaire est interdite à toutes les confessions et le séminaire orthodoxe grec de Halki, qui a été fermé dans les années 70, l'est toujours aujourd'hui.  

Bien que le nombre de chrétiens «historiques» soit probablement en train de diminuer en raison des migrations, une certaine croissance locale a également été signalée. Et la communauté protestante a connu une croissance régulière au cours de ces dernières années.