Timothy Cho (pseudonyme) est un réfugié de Corée du Nord. Il vit maintenant en Europe. Devenu chrétien pendant son périple pour fuir le pays, il souhaite témoigner de ce qu'il a vécu dans le pays le plus dangereux pour les chrétiens.

«J'ai pleuré toute la journée quand Kim Il-sung est mort»

«Je suis né en Corée du Nord à la fin des années 1980, lorsque le pays était fortement contrôlé par le culte de la personnalité entourant les dirigeants de la nation, la famille Kim - ils étaient vénérés comme des dieux. Comme tout citoyen nord-coréen, je considérais la famille Kim comme des dieux, et je les chérissais dans mon cœur. Dès l'enfance, j'ai demandé à mes parents de m'emmener voir les statues des Kim, et je pleurais si je trouvais un seul grain de poussière sur elles. (On estime qu'il y a entre 30.000 et 50.000 monuments en l'honneur de la famille Kim en Corée du Nord). Quand Kim Il-sung, le grand-père du dirigeant actuel Kim Jong-un, est mort le 7 juillet 1994, j'ai pleuré toute la journée - parce que je croyais vraiment qu'il était mon grand-père et le dieu de tous les citoyens nord-coréens.

Cependant, l'idée de considérer les Kim comme des dieux en Corée du Nord a progressivement diminué depuis les années 1990, en particulier par nous, la troisième génération ayant vécu sous les Kim. Quand nous étions jeunes, à l'école maternelle, on nous donnait des repas gratuits, et avant de manger ce repas, nous remerciions la famille Kim. Nous pensions que tant que la famille Kim vivrait, nous n'aurions pas à nous soucier de la nourriture, parce qu'ils étaient des dieux et qu'ils prendraient soin de nous.

«Si les Kim était des dieux, comment pouvaient-ils nous laisser mourir de faim?»

Mais ensuite, dès la première année du primaire, nous avons vu comment certains de nos camarades de classe ne pouvaient pas venir à l'école parce qu'ils n'avaient pas de nourriture. Ils mangeaient des mauvaises herbes car ils désespéraient de trouver quelque chose à manger. Avec plusieurs enfants de la classe, nous avons récolté du pain, du riz et des pommes de terre pour eux.

Mais ce n'était que le début. La situation est allée de mal en pis, et finalement, même moi, je me suis retrouvé à vivre dans la rue, sans rien à manger. Je me suis dit alors: «Si les Kim étaient des dieux, comment pouvaient-ils nous laisser mourir de faim?» Les Nord-Coréens nés après l'an 2000 voient que ce n'est pas la famille Kim qui les aide à survivre, mais le marché noir.

Le christianisme vu comme une trahison

En Corée du Nord, il n'y a pas de place pour le christianisme ou toute autre foi qui suggère qu'il y a une puissance supérieure aux Kim. Il n'y a même pas d'espace libre où les gens peuvent en parler. C'est l'une des raisons pour lesquelles il est si dangereux d'être chrétien en Corée du Nord.

De nombreux messages de la Bible sont attribués aux Kim - par exemple, ils ont les «Dix principes pour établir le système d'idéologie unique du Parti», avec une structure similaire aux Dix commandements de la Bible. Prétendre que ceux-ci proviennent du christianisme et non des Kim est considéré comme une trahison.

Quand les réfugiés se font rapatrier on leur demande: «Etes-vous allé à l'église?»

En 2004, j'ai été attrapé dans ma fuite et rapatrié en Corée du Nord. La première question qu'ils nous ont posée avec les autres prisonniers était: "Etes-vous allé à l'église et avez-vous prié en Chine? Un homme qui était à côté de moi a nié être allé à l'église en Chine. Mais quand le policier s'est approché, il a eu peur et lui a dit dans quelle église il allait et combien de personnes assistaient aux services du dimanche. Il a été battu sans pitié et le sang qui coulait du haut de sa tête nous a tous fait trembler.

La question suivante du policier était: «Où est votre Dieu? S'il est là, pourquoi ne vous a-t-il pas sauvés pendant que je vous battais? Notre cher chef est votre Dieu. Il est le leader et le dieu du peuple nord-coréen!» 

Pourquoi ces questions revêtent-elles une telle importance pour les policiers nord-coréens, alors qu'ils pourraient simplement nous mettre dans un camp de prisonniers et nous laisser mourir ? C'était une démonstration du rejet continu du christianisme par la Corée du Nord. Le christianisme est clairement perçu comme une menace pour le culte de la personnalité autour des Kim.

Envoyée dans un camp à cause de sa foi: «On ne l'a jamais revue»

Je ne suis pas le seul à avoir vu à quel point le régime nord-coréen s'emploie à vouloir éradiquer le christianisme à tout prix. J'ai rencontré une autre Nord-Coréenne réfugiée en Europe, et elle m'a raconté son histoire que voici: «Quand nous nous sommes échappés de la Corée du Nord vers la Chine, des missionnaires chrétiens se sont occupés de nous. Un jour, nous étions au service de l'église et tout à coup, la police chinoise est entrée. Mon fils, ma petite-fille et moi avions réussi à nous échapper par une issue cachée. Mais ma fille a été arrêtée devant sa fille de deux ans. Ma fille a été renvoyée en Corée du Nord et à cause de sa foi chrétienne, elle a ensuite été envoyée dans un camp de prisonniers. Nous n'avons plus eu de nouvelles d'elle depuis. Ma petite-fille se souvient à peine du visage de sa mère.»

Sa petite-fille a aujourd'hui une vingtaine d'années et a été élevée par sa grand-mère. Le régime nord-coréen ne transige pas avec le christianisme et les chrétiens, ils sont destinés à être arrêtés et tués.

Le christianisme considéré comme une menace pour la sécurité nationale

En plus d'être considéré comme un rival au culte de la personnalité qui entoure la famille Kim, le christianisme est une question de sécurité nationale en Corée du Nord. Le régime prétend que les États-Unis utilisent le christianisme comme une arme pour détruire la nation socialiste. 

La persécution des chrétiens en Corée du Nord a commencé aux premiers jours de la Corée du Nord actuelle, avec la division de la Corée à la fin de la Seconde Guerre mondiale en 1945. Kim Il-sun a rapidement établi une structure juridique qui nie la liberté d'expression, de pensée et de religion et qui justifie des châtiments tels que la torture, l'exécution, l'esclavage, les disparitions forcées et la famine. Son fils, Kim Jong-il, et son petit-fils, Kim Jong-un, actuellement au pouvoir, ont continué cette politique répressive.

Et cette situation perdure aujourd'hui. On estime que 250.000 personnes sont détenues dans les villages fermés, les centres de détention, les prisons et les camps de travail en Corée du Nord - cela représente 1% de la population. Et parmi elles, 50.000 à 70.000 sont des chrétiens.

Les chrétiens de Corée du Nord ont trois possibilités:

  • 1. Tenter de s'enfuir dans un autre pays, mais le voyage est dangereux et illégal
  • 2. Rester en Corée du Nord et renoncer à sa foi.
  • 3. Rester en Corée du Nord et garder sa foi secrète - en sachant que si vous êtes découvert, vous serez emprisonné, torturé et presque certainement tué.
  • La Corée du Nord est l'endroit le plus dangereux du monde pour les chrétiens. Pourtant, on estime leur nombre à environ 300.000, tous croyants clandestins. Le régime n'a pas réussi à éradiquer l'Église. 

    Lire aussi le portrait de Timothy dans le Journal du Dimanche.